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On ne peut pas supprimer du passé le mal qui a été fait. Le mal est irréversible, à jamais inscrit sur le marbre de notre histoire. Pourtant, chacun sent bien la nécessité de rompre avec son passé pour mieux s’ouvrir un avenir. Si le passé ne peut être évacué, le lien qui m’attache à lui peut-il, lui, être rompu ? Au lieu d’effacer le tort commis de mon passé, est-ce possible de l’éliminer de ma mémoire ?

 

Se détacher des liens du passé

 

On devine facilement les dangers d’une conscience renfermée sur son passé : le ressentiment n’est pas loin. L’oubli de l’offense apparaît alors comme un possible remède, une voie de liberté. Nietzsche faisait de la faculté de l’oubli une condition indispensable au bonheur de l’homme, en ce qu’elle lui permet de savourer l’instant présent hors de toute temporalité accablante. Savourer l’instant présent plutôt que se perdre dans son passé douloureux, voilà en quoi consiste pour Nietzsche le trésor de l’oubli. La faculté de l’oubli serait comme « une sorte de gardienne, de surveillante chargée de maintenir l’ordre psychique.1»

 

Mais voilà ce que l’on veut soutenir au contraire contre Nietzsche : la guérison que l’on recherche confusément dans l’oubli nous est en réalité donnée dans le pardon, et dans le pardon uniquement.

 

Comment décider d’oublier ?

 

Il ne paraît pas si simple de décréter l’oubli. Comment oublier ? En faisant tout pour oublier un événement du passé, je risque bien de faire en sorte qu’il revienne malgré moi toujours à ma mémoire. S’efforcer d’oublier quelque chose, c’est déjà s’en rappeler. J’obtiens alors le résultat exactement opposé de celui escompté. Il semble que l’oubli ne puisse être produit par ma volonté. Une autre solution pourrait alors consister à me contenter de ne pas constamment ressasser ma douleur, en espérant que le trouble en moi finisse par se décanter avec le temps. Mais le temps fait-il autre chose que de plonger l’offense dans un épais silence ? L’usure du temps peut-elle vraiment guérir l’offense ?

S’efforcer d’oublier quelque chose, c’est déjà s’en rappeler.

Paul Kronberger

Le pardon permet ce que l’oubli empêche

 

Le philosophe Jankélévitch propose une réflexion très éclairante sur la différence entre l’usure du temps et le pardon véritable :

« Même si elle amenuise la rancune jusqu’à l’extrême limite de la ténuité, l’usure n’est jamais l’avènement d’une ère nouvelle, ne fonde jamais un ordre nouveau ; elle est incapable, par elle-même, d’inaugurer des relations positives entre un offensé et un offenseur intimement réconciliés.2»

 

L’oubli, contrairement au pardon, n’offre pas une voie de sortie dans l’ordre relationnel. Le temps ne fait que plonger l’offense dans une sorte de torpeur étrangère à la vie. L’oubli ne fait qu’aseptiser la blessure, elle ne la guérit pas :

« Le temps décolore toutes les couleurs et ternit l’éclat des émotions, le temps amortit la joie comme il console la peine, le temps endort la gratitude comme il désarme la rancune, l’un et l’autre indistinctement.3»

 

Le pardon oublie l’offense

 

Le pardon permet au contraire une guérison profonde du cœur, un chemin de vie. Le pardon promet une rédemption à laquelle l’oubli ne peut prétendre.

 

Le pardon, s’il est différent de l’oubli, s’en rapproche néanmoins dans ses effets recherchés. On dit parfois un peu rapidement « qu’on pardonne mais qu’on n’oublie pas ». Mais comment vraiment pardonner sans oublier le mal qui a été commis ?

 

Le pardon consiste forcément à laver l’offense, et donc à la jeter aux oubliettes. Le pardon fait certes, dans un premier temps, revenir l’offense à la mémoire, mais c’est pour mieux l’oublier ensuite, comme une affaire réglée, à jamais scellée par le sceau du pardon. L’oubli ne mène pas au pardon, alors que le pardon, lui, peut mener à une certaine forme d’oubli. Mais il ne s’agit plus d’un oubli forcé, mais au contraire d’un oubli serein, qui nous réconcilie avec nous même et avec l’autre, et qui ne ressemble en rien à un refoulement raté et impossible.

 

 

1. Friedrich Nietzsche, 1887, La Généalogie de la morale, Œuvres complètes, vol. 11, 1900 [troisième édition], traduction par Henri Albert, p. 85. ↩
2. Vladimir Jankélévitch, 1967, Le Pardon, Montaigne, Paris, p.50; in : Julien Rémy, « L’offense, le pardon et le don », Revue du MAUSS, 2012/2 (n° 40), p. 37. ↩
3. Vladimir Jankélévitch, 1967, Le Pardon, Montaigne, Paris, p.28; in : Julien Rémy, « L’offense, le pardon et le don », Revue du MAUSS, 2012/2 (n° 40), p. 37. ↩

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